COMMUNAUTE UNIVERSITAIRE//: Les droits de l’homme et la souveraineté des Etats. Les contours d’un débat
Les droits de l’homme et la souveraineté des Etats. Les contours d’un débat
« Si le
droit international est la loi de la société internationale, il devrait changer
en fonction du changement des désirs humains, des attentes, l’émotion et la
poursuite des intérêts et des valeurs de la société internationale », écrivait
l’illustre théoricien du droit, Yasuaki Onuma. Cette idée sous-tend une mise en
question de la place de l’Etat en droit international et ce, au bénéfice de
l’individu dont les intérêts essentiels sont les droits de l’homme.
Considérés
comme un corps de principes philosophiques et de valeurs, les droits de l’homme
ne bénéficient pas d’une définition universelle. Ils sont littéralement des
droits inhérents à la personne humaine. Autrement dit, les droits de l’homme
sont définis comme « l’ensemble des principes et des normes fondés sur la
reconnaissance de la dignité inhérente à tous les êtres humains et qui visent à
en assurer le respect universel et effectif » (Jean Bernard Marie, 1993). Si le
contenu du concept est discuté, il n’en demeure pas moins qu’il y a un certain
consensus sur son fondement : les droits de l’homme sont fondés sur la dignité
humaine.
Instauré dès
1648, le modèle westphalien a définitivement inauguré le statocentrisme en droit
international. L’Etat demeure l’acteur principal et incontournable de
l’ordre international. Cet ordre international n’est pas statique. Dans sa
phase contemporaine, il subit des pressions doctrinales, notamment au prisme
des droits de l’homme. Dans cet article, nous nous attacherons à faire
ressortir la pertinence du débat sur le choc résultant de la difficile
conjugaison entre le « droit-de-l’hommisme » et le statocentrisme.
Dans un
temps record, suite à la déclaration universelle des droits de l’homme
conformément à l’expression de foi des Etats dans les droits de l’homme dans la
Charte de San Francisco, on a assisté à un renforcement remarquable de la
protection normative des droits de l’homme, une certaine prolifération
normative. Cette réalité juridique est perçue comme une prééminence des droits
de l’homme en droit international, vu le flux de textes adoptés par les Etats
concernant les droits de l’homme et le caractère suprême dont bénéficient ces
derniers lorsqu’ils sont placés au rang de jus cogens (Voir l’article 53 de la
convention de Vienne sur le droit des traités). Certains parlent de
« droit-de-l’hommisme » en droit international.
En effet, la
mise en place du maillage international de contrôle des droits de la personne a
débuté après la seconde guerre mondiale (Vera Gowlland-Debbas, 1997).
Particulièrement à la suite de l’adoption de la charte des Nations-Unies et la
déclaration universelle des droits de l’homme, une nouvelle ère a débuté en
droit international, laquelle caractérisée par l’élaboration d’une longue série
de traités dédiés à la protection universelle des droits de l’homme en un temps
record. Notamment, sous le label des nations-unies, un nombre important
d’instruments de protection de droits de l’homme et dans des domaines
spécifiques dont le pacte international des droits civils et droits de l’homme,
le pacte international des droits sociaux, culturels et économiques, la
convention sur la prévention et la répression du Génocide, la convention sur
l’élimination sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale.
S’ensuivent une pléthore de textes du genre dans le cadre des organisations
régionales et au niveau des Etats.
Cette
dynamique fait que la personne humaine occupe une place plus ou moins imposante
dans l’ordre juridique international. Ce qui se rapproche du « jus naturalis »
reconnaissant l’existence d’une communauté internationale et prônant ainsi la
subordination de l’Etat au respect du droit naturel sur lequel repose les
droits de l’homme, de l’avis de Pierre Marie Dupuy. Ce renforcement de la
protection des droits de l’homme place ces derniers au cœur du droit
international. Pour certains, cette révolution normative consisterait en une
transformation du droit international traditionnel en un droit international
humaniste.
Certains
droits de l’homme sont élevés au rang de normes de jus cogens. Ils sont ainsi
devenus des droits auxquels il n’est pas permis de déroger. Citons en exemples
: l’interdiction de torture, de l’esclavage et de la privation arbitraire de la
vie. Non seulement ces normes ne sont pas dérogeables mais ne peuvent non plus
faire l’objet de réserves. De surcroît, elles s’imposent en dehors de la
volonté des Etats. Relativement, elles restreignent la liberté contractuelle
des Etats ou sa liberté de consentement.
Prenant en compte l’ensemble des droits de l’homme
reconnus comme normes de jus cogens, cet ensemble particulier donnerait l’idée
qu’on est en plein dans un ordre public international (le concept d’ordre
public international serait une analogie à celui de l’ordre public interne en
droit interne. Le concept d’ordre public international renvoie à un ensemble
spécial de normes protégeant les intérêts et valeurs fondamentaux). Les
droits de l’homme, une fois investis l’univers des normes impératives
correspondraient à l’idée d’ordre public international. Le jus cogens serait,
en ce sens, l’expression juridique de cet ordre public caractérisé par un
certain absolutisme. Dans une approche normativiste kelsénienne, on peut
assimiler les traités de droits de l’homme, tels que la convention de Genève de
1948 sur la prévention et la répression du génocide, la convention sur
l’élimination de toutes formes de discrimination raciale, entre autres, comme
des normes d’ordre public au niveau de la société internationale, étant donné
que ces normes se voient supérieures aux autres, placées au sommet d’une
hiérarchie supposée en droit international.
Le système
westphalien dont la mise en place remonte à 1648, consolidé lors du congrès de
Vienne de 1815 et la première guerre mondiale (1914-1918) a donné lieu à la
primauté du paradigme stato-centré en vertu duquel l’Etat est l’acteur
originaire, central, principal du droit international. Et tout va se justifier
par sa souveraineté.
Le
stato-centrisme et le droit-de-l’hommisme ne font pas bon ménage. Toujours
est-il, les normes dont celles relatives aux droits de l’homme sont nées de la
volonté des Etats. De ce fait, la souveraineté des Etats est propre à moduler
les effets des droits de l’homme à l’égard de l’Etat, laquelle idée se repose
sur le principe du libre consentement, principe cardinal en droit
international.
Le droit
international traditionnel est un ordre juridique régulateur des relations de
coexistence et de coopération entre les Etats (Juan Antonio Carrillo Salcedo,
2016). Un système dont la dynamique repose sur le libre consentement des Etats.
Le droit est décrit par certains auteurs comme une sorte de lieu de
délibération politique, une assemblée internationale réservée aux titulaires de
la souveraineté que sont les Etats. En droit international, et les normes
impératives et les normes permissives ont originellement la même nature
juridique et ont, pour créateurs et destinataires, les mêmes sujets, à savoir
les Etats. La volonté des Etats est ainsi déterminante. Il n’existe pas alors
de pouvoir centralisé doté de compétence obligatoire capable d’énoncer et de
déterminer quelles règles appartiennent à l’ordre public et apte à prononcer
une sanction, en cas de violation de celles-ci ou de déclarer la nullité des
actes dérogatoires. L’Etat est l’entité qui a la voix au chapitre. Ainsi, les
normes sont le produit du consentement des Etats, c’est-à-dire de l’accord de
volonté des Etats, manifesté expressément dans les traités ou tacitement dans
les coutumes. A cet égard, la place de l’individu en droit international ne
serait qu’une prétention. Comme le laisse comprendre Santiago Villalpando,
l’égoïsme des Etats ferait échec à l’émergence d’un ordre public international
(Santiago Villalpando, 2005).
Parallèlement,
sous l’effet de la montée en puissance des droits de l’homme, les compétences
de l’Etat quittent la sphère exclusive de la souveraineté pour être contrôlées.
S’agissant de la relativisation de la souveraineté de l’État, nous observons
qu’un des principaux facteurs en question est l’importante place que la
personne humaine tente progressivement d’occuper dans l’ordre international
sous l’effet du courant personnaliste. Il est ainsi vrai que l’individu,
bénéficiaire des droits de l’homme, jouit d’une considération dont l’importance
s’accroit de plus en plus.
En effet,
les droits de l’homme et la souveraineté coexistent dans une tension
dialectique. Au-delà de cet affrontement, le développement des droits de
l’homme ne saurait s’opérer sans l’acquiescement explicite ou implicite des
Etats. Aucun processus de contrôle n’est jusqu’ici possible sans le consentement
de l’Etat. La souveraineté des Etats demeure un obstacle au développement des
procédures internationales de garantie et de contrôle du respect des droits de
l’homme par les Etats. De ce fait, on peut affirmer que la montée apparente des
droits de l’homme ne peut ébranler les Etats tant que la souveraineté demeure
cette arme aussi puissante.
Considérant
que l’effectivité des droits de l’homme est en accord avec l’idée d’une
présence considérable de l’individu sur la scène internationale dans la mesure
où l’Etat est, lui, le principal prédateur des droits de la personne et sur
d’autres fronts, les intérêts de l’Etat sont en conflit avec ceux de
l’individu, de toute évidence, l’émergence de l’individu comme acteur central
du droit international contemporain serait dans l’intérêt de l’humanité.
Il s’agit
d’un débat théorique qui ne cesse de faire couler de l’encre. Pour approfondir,
voici quelques références utiles :
1. CANÇADO
Trinidade, A.A. Le droit international pour la personne humaine (traduction :
C. Botoko-Claeysen), Pedone, Paris, 2012.
2.
D. CARREAU, Droit international, Pedone, Paris, 11e éd., 2012, 733 p. – J.
COMBACAU ; S. SUR, Droit international public, Montchrestien/Lextenso, Paris.
3.
DUPUY P-M., « L’individu et le droit international (Théorie des droits de
l’homme et fondements du droit international », Archives de philosophie du
droit, 1987.
4.
GLENNON, J-M., « De l’absurdité du droit impératif (jus cogens) », RGDIP, 2006.
5.
KOLB R., Théorie du droit international, Bruxelles, Bruylant, 2013.
6.
SALCEDO Juan Antonio Carrillo, Souveraineté des états et droits de l’homme en
droit international public ( traduction : Jacobo Rios Rodriguez), Dalloz,
Paris, 2016.
7.
VILLALPANDO Santiago, émergence de la communauté internationale dans la
responsabilité des Etats, PUF.
8.
VIRALLY M., « Réflexions sur le jus cogens », AFDI, 1966, Vol. 12.
PROFIL BIOGRAPHIQUE
Etudiant Master 2 Histoire, Théorie et Pratique des droits de l'Homme de l'Institut des Droits de l'Homme de Lyon (IDHL) après avoir effectué un Master 1 Droit international & européen audit institut, détenteur d'une licence en Sciences Politiques/Relations internationales de l’Institut National d’Administration, de Gestion et des Hautes Etudes Internationales(INAGHEI), d’un diplôme valant BEP en Communication-Journalisme, Louikens Evariste est fondateur de Link Haiti Media. Louikens est un passionné de l’écriture, du reportage, des films-documentaires et de la culture générale. Il a de l'appétence pour la diplomatie culturelle.
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