SOCIETE://Nos héroïnes à l’ombre de la gloire de nos héros…

 



Nos héroïnes à l’ombre de la gloire de nos héros…

Peu d’importance aux prouesses de ces guerrières ayant combattu d’âmes et de fer aux côtés de ces héros épiques et à qui la gloire paraîtrait déméritée. Elles étaient remarquablement courageuses. Cependant on les a ralliées au rang mineur de l’histoire jusqu’à frôler l’oubli. Dans les mémoires et les annales haïtiennes, les victoires et les gloires ont un genre et un sexe, elles sont masculines et mâles. Quant aux héroïnes, elles sont surtout dans l’ombre, l’objet de détail ou sujet de revendications. On sait entendre citer Catherine Flon, filleule de Dessalines qui a cousu notre bicolore, Claire Heureuse l’épouse dévouée de l’empereur, Sanite Bélair aux côtés de Charles Bélair, Marie-Jeanne Lamartinière, Tant Toya, souvent dans l’ombre des hommes sans qu’elles ne constituent des sujets essentiels de recherche ou des annales. Cependant, celles-ci ont pris part à la révolution comme étant des actrices à part entière, elles ont combattu jusqu’au sang et plusieurs jusqu’à la mort. Elles ont eu le courage et l’audace de mettre en service leur bravoure pour la liberté. Portant en elles le fruit de l’espoir, les semences du courage et en leur cœur l’amour de vivre libre ; elles ont lutté comme tous les généraux, chacune de leur façon, pour ce dont nous sommes aujourd’hui fiers : l’indépendance !

 

Pourtant, elles ne constituent que de vagues souvenirs ne servant justement qu’à embellir des pages d’histoire écrites le plus souvent à la connaissance de nos héros. En effet, notre patrimoine national est en manque de ces dames. Leurs âmes en souffrent. Les souvenirs que nous avons acquis sont trop peu et le modèle qu’elles voulaient projeter mal appris. Elles ont perdu l’essence de leur combat. Dans la mémoire collective nationale, on en a songé que très modestement. Pourquoi ne seraient-elles pas représentées en effigie dans un de nos lieux publics ? Pourquoi ne seraient-elles pas encore l’objet d’étude de la science historique, sociologique ou tout autre ? Pourquoi ne seraient-elles pas suffisamment enseignées afin de servir de modèle à la femme haïtienne actuelle et même au mouvement féministe haïtien ?

Plusieurs problèmes se posent. Partant de la nature sociopolitique qui perdure dans les sociétés et de laquelle Haïti ne fit pas exception, on peut tenter de comprendre comment cela a favorisé la mise à l’écart de nos héroïnes. En effet, le patriarcat a toujours constitué le phénomène de la priorité masculine au détriment de la valorisation féminine. Les hommes d’abord.

Depuis la formation de cet État, la domination a toujours été l’affaire des hommes, les Haïtiennes étaient souvent reléguées au second rang. Il fallait attendre plus d’un siècle pour que les femmes commencent à occuper les fonctions publiques. Elles n’avaient pas le droit au scrutin au premier moment de l’instauration de la démocratie. Et même après avoir été au plus haut poste, on sentait encore les réticences. Ce système sexiste et suprémaciste ne fut pas sans précédent. Il fait partie des patrimoines immatériels transmis de génération en génération datant depuis l’époque coloniale esclavagiste. La femme du maître était le plus souvent dans l’ombre de ce dernier comme ce fut plus tard le cas avec les soldats de l’armée indigène. On parle plutôt souvent de maître que de maîtresse, comme ce serait le cas des héros plutôt que des héroïnes. Ceci fait, il conduira nos archives et nos mémoires dans une orientation sexiste à la seule gloire de nos ancêtres hommes.

 L’on ne saurait également négliger la portée documentariste du problème. Nos premiers historiens se sont servis des actions de ces femmes, à des fins de pigmentation ou d’embellissement des pages de leurs écrits. Nous prenons l’exemple de Thomas Madiou lorsqu’il parle de Claire Heureuse, vantant son humanisme et ses talents de guérisseuse, mais souvent aux côtés de Dessalines comme épouse. Et d’autres comme Madame Martin chez Ardouin et Madiou et dont le courage était souvent mesuré à l’aune des valeurs mâles.

Quelques-uns parlant des disciples féminins de Mackandal qui lui facilitaient la tâche d’empoisonnement. En effet, ces dernières ont seulement servi à enjoliver l’histoire de ces hommes, piquant le sens et donnant l’essence à leur réalisation. L’on ne sait si ces dernières n’ont pas laissé de témoignages ou à défaut des témoins ou peut-être qu’elles sont malheureusement parties sans trace. Ce qui rendrait difficile toute étude. On ne sait également si nos artéfacts datant de cette période ont été objet des hommes. Ce qui serait une raison pour nos archéologues de ne pas pouvoir tenter des études du côté du genre opposé. Si ceux-ci parviennent à être vérifiés, la transcription dans les pages ou du moins la considération comme sujet d’étude se révélerait très difficile.

Malheureusement nos féministes n’ont pas encore réussi à porter de véritables solutions à ce problème. Elles ont tenté de les faire revivre à travers leurs identifications… comme en attribuant leurs noms à des mouvements ou à des groupes sociopolitiques. Cependant cela ne suffit pas. Il faudrait toute une campagne de rééducation dans notre société, plus particulièrement de nos filles et de nos femmes, suivant laquelle elles pourraient s’identifier à travers nos héroïnes qui leur serviraient de modèle. Le dicton « Qui se ressemble s’assemble » pourrait trouver sa place. Il est temps que nos femmes se regardent à travers les mères de cette nation. Il est temps qu’elles combattent à leur manière la passivité, le manque d’estime de soi et qu’elles mettent au service de cette nation leurs savoir-faire comme l’ont fait nos ancêtres femmes. Aujourd’hui encore nos mémoires autant que notre pays en souffrent de leurs héritages. Nous avons besoin de la régénérescence de ces dernières, nous avons besoin de faire revivre leur courage en nos filles et nos femmes. Si elles ont su braver les barrières qui leur étaient imposées, si elles ont su combattre au rang des hommes, pourquoi ne pas nous imprégner de cette même ardeur, de ce même courage afin de porter notre juste contribution aux urgences de notre nation.

 

Evdjina MAGOFFIE

Étudiante en 3ème année/ Département d’Histoire

IERAH ̸ ISERSS

Université d’État d’Haïti

magoffieevdjina17@gmail.com

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