Des
impasses de l’Etat de Droit en Haïti
L’Etat de droit
est une notion politico-juridique née en Allemagne au XIXe siècle. De manière
simple, il convient de voir l’Etat de droit comme une forme de gouvernement où le
pouvoir se repose non sur la force et les fantaisies des dirigeants mais plutôt
sur le droit. Le droit, étant alors un ensemble de règles visant l’harmonie,
l’ordre et le bien-être général.
En ce sens, les
règles du droit précèdent les détenteurs du pouvoir politique qui ont obligation
de garantir le respect du droit à l’intérieur de l’Etat. Au XXe siècle, l’Etat
de droit a été perçu comme antidote dans un monde où le totalitarisme sanglant
déferlait et la dictature voleuse
de liberté végétait dans les quatre coins du globe.
Parlant de ce que
le XXe siècle a de totalitaire et de dictatorial, il faut signaler que notre
pays Haïti n’était pas un cas isolé car elle a connu la dictature pendant environ
une trentaine d’années (1957-1986). Par la suite, tout comme dans les autres
pays portant les séquelles des
régimes autoritaires, il allait y avoir une rupture pour se tourner vers
l’idéal d’Etat de droit caractérisant les Etats démocratiques. Un Etat où désormais
les citoyens- détenteurs ou non de pouvoir politique- ne se croient pas tout
permis car le droit aura préalablement fixé les limites de chacun. Un Etat où
les dirigeants n’agissent pas selon leur volonté mais selon les prescriptions
du droit. Une manifestation
de ce désir du peuple haïtien de dire non au pouvoir de/par la force est la
constitution du 29 mars de 1987.
Toutefois, si le
désir a été indéniable dans l’esprit de la loi-mère de 1987, il faut dire que
depuis les haïtiens peinent encore à vivre dans un Etat de droit. D’où notre
intérêt de nous questionner sur l’inadéquation entre cet idéal auquel le peuple
haïtien aspire pour changer sa situation et la description d’une réalité qui se
démarque de l’idéal de l’Etat de droit par les actions et le comportement des
acteurs. Si les haïtiens n’ont pas encore construit l’Etat de droit qu’ils
évoquent dans leur discours et dans leur projet d’avenir, c’est parce qu’il y a
sans doute des obstacles à son établissement.
En effet, dans notre
tentative de réponse, nous avons trouvé 3 obstacles majeurs handicapant l’Etat de
droit en Haïti : L’asphyxie du pouvoir judiciaire par le pouvoir exécutif, l’impunité,
la non-démocratisation des règles du droit haïtien. Nous allons donc
approfondir chacun des obstacles mentionnés ci-dessus pour voir en quoi ils
s’éloignent des caractéristiques de l’Etat de droit.
Le judiciaire
trop prisonnier de l’exécutif
Nous avons dit
précédemment que l’élaboration de la Constitution du 29 mars 1987 a été une
action posée par le peuple haïtien à bout du totalitarisme et désireux de
définir des valeurs communes supérieures à l’autorité des dirigeants. Pourtant, cela n’exclut pas le fait que notre charte fondamentale n’avait pas tout prévu
et que dans son application, force est de constater une absence de pouvoir réel
des autorités judiciaires. Ce sont les juges dans les tribunaux qui
constituent le pouvoir judiciaire. Or , les juges sont nommés par le Président.
De cette forme de désignation des juges, nous pouvons croire que l’exécutif a
le droit de décider , de faire son choix sur qui peut rendre la justice dans les
tribunaux. Il y a aussi les commissaires du gouvernement près les tribunaux de
première instance qui relèvent directement du pouvoir exécutif, plus
précisément du Ministère de la justice. Alors que ces derniers sont chefs de la
Poursuite, ils sont courbés à la volonté de l’exécutif qui les nomme et les
révoque comme bon lui semble. Selon l’article 171 de la Constitution de 1987
stipulant que les ministres nomment des agents de la fonction publique, on
accepte que le fait que l’exécutif dispose droit de révocation et de
nommination sur les parquetiers soit légal. Il est également légal que le
directeur général de certaines institutions aide à l’établissement de l’Etat
de droit comme l’ULCC,
l’UCREF.
Dans
l’application de nos textes de droit, nous avons fini par
avoir un exécutif qui contrôle le judiciaire comme une marionette, qui peut
neutraliser les agents devant garantir le respect du droit par une simple
révocation. Et il s’imprime dans l’esprit des juges , commissaires du
gouvernement, directeurs de l’ULCC, de la PNH, de l’UCREF , une sorte de fidélité,
de loyauté sans condition envers l’équipe à bord de l’exécutif pour être nommés. Une solidarité qui s’affiche même dans les dérives. Cette
réalité haïtienne est contraire à une des caractéristiques du concept de l’Etat
de droit qui est la séparation des pouvoir s dans le but de garantir l’indépendance
du pouvoir judiciaire.
Or, c’est cette indépendance qui tarde à
exister au sein du pouvoir judiciaire en
Haïti qu’il faille rechercher dans l’élaboration de nouveaux textes de droit
qui viendront avec de nouveaux mécanismes tendant vers l’Etat de droit en
Haïti.
Sans application
de sanction, le droit est inefficace. Plus haut, nous avons parlé de la manière
dont l’exécutif influe sur le judiciaire, il s’ensuit alors que les élus ne
reçoivent pas vraiment de sanction quand ils violent les prescrits du droit.
Mais l’impunité en Haïti n’est pas seulement pour les personnes détentrices de pouvoir et leurs proches, elle s’est érigée en norme. Tout le monde sait comment cela fonctionne, l’on joue sur ses relations, l’on corrompt les agents et les institutions judiciaires pour faire classer un dossier, l’on utilise ses avantages sociaux pour se mettre au-dessus du droit. Et dès fois, l’on constate un véritable laisser-faire chez ceux-là même tenus de faire appliquer les règles de droit. Se déclarant forfaits, ils renoncent à leur mission et s’adaptent à la République de violation que les haïtiens ont construit au cours du temps. Les institutions ont failli et ne contrôlent plus rien. Lorsqu’il y a l’impunité, le droit n’a aucune force. Alors si le droit est faible, nous comprenons qu’il faudrait chercher à rétablir la force du droit caractérisant l’Etat de droit.
Pour respecter le
droit, il faut d’abord en connaître les règles. L’ignorance
des règles du droit est aussi responsable de l’adhésion des
haïtiens à l’irrespect des normes. On a fait de l’étude du droit une affaire de
juristes, d’avocats, de politiques alors que celle-ci devrait être une affaire
de citoyens devant évoluer dans un Etat reposant
sur le droit. En ce sens, nombreux sont ceux qui minimisent le devoir de
respecter les prescriptions du droit car il n’y a pas eu de transmission sur
l’importance du droit dans une société démocratique. Ils
agissent en toute ignorance et lorsqu’ils devront répondre de leurs actes, ils
crieront à l’abus de pouvoir. Cette non-vulgarisation de l’essence et du
contenu du droit a fait que nous établissions notre propre perception du droit qui
rejoint nos intérêts. Pour être bien vu, il faut parfois cautionner les
infractions de certains et privilégier le désordre car nous vivons dans l’ignorance
de la nécessité d’un droit fort pour le progrès d’Haïti. Nous menons une vie de partisans
; si le droit s’attaque à une personne que nous aimons, nous ne cherchons pas à
identifier s’il y a lieu de retenir la culpabilité de la personne, nous nous
nous contentons de crier aux persécutions politiques et nous nous opposons à la
justice qui se trouve
dans l’impasse de dire le droit.
Il faut donc
démocratiser l’importance du droit fort et objectif. Il faudrait commencer par
vulgariser les notions de droit dès l’enfance car le respect du droit est une
forme de civisme. Il faudrait aussi vulgariser les règles du droit positif
haïtien pour éviter de crier à l’abus en cas de violation. Il nous faut
apprendre à accepter la pénalité objectivement comme la conséquence de notre
irrespect même quand elle frappe ceux auquels nous tenons. Avant d’arriver à
l’Etat de droit,
il faudra passer par la diffusion massive du droit avec ce qu’il a de règles, de
sanctions et d’importance dans la lutte contre l’anarchie et l’arbitraire.
On dit qu’un
problème identifié est à moitié résolu, dans notre quête de faire d’Haïti un État
de droit, nous considérons que l’identification des obstacles est détentrice de
solution. Il importe donc de multiplier les questions, les recherches
concernant les blocages face à l’Etat de droit. Ils-les obstacles- sont nombreux
et ceux décrits dans cet article ne sont pas exhaustifs. Toutefois, il nous interpelle sur 3
obstacles et nous propose quelques pistes de solution pour arriver à l’État de
droit. Il nous signale sur l’instrumentalisation de la justice par l’exécutif
qui devrait cesser par la mise en place de nouveaux textes de droit qui définiront
d’autres mécanismes d’exercice de pouvoir. Il indexe secondement l’impunité
comme une grande contradiction avec l’idéal de l’Etat de droit et invite à
rétablir la force du droit par le contrôle effectif de nos institutions et l’application
des peines en cas de violation du droit.
Finalement, notre
article a parlé de l’ignorance du droit et la non-vulgarisation des notions
relatives au droit au sein de la population haïtienne. À tel obstacle, il
propose des campagnes de sensibilisation autour du droit,
une connaissance de l’importance du droit dès l’école primaire et toute autre
forme de diffusion massive sur les notions juridiques afin que chaque haïtien
soit au courant que le respect et la connaissance des règles juridiques sont
non négociables dans toute société à vocation démocratique.
Bath-Schéba NG Joseph
Etudiante en Sciences Juridiques et correspondante de
"Les Cahiers de l’INAGHEI” à la FDSE
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